Cet article répond à celui de Luke Johnson paru dans le Financial Times le 24 Mai 2011, et dans lequel il critique la gouvernance et l’accountability au sein du secteur à but non-lucratif, et suggère de suivre le modèle des entreprises du secteur privé. L’article peut être consulté à l’adresse :
 http://www.ft.com/cms/s/0/a0234f7c-8630-11e0-9e2c-00144feabdc0.html 

Alors que l’article de Luke Johnson paru dans le Financial Times, dans lequel il désigne la gouvernance des entreprises du secteur privé comme l’option la « moins mauvaise », ne manque pas de soulever un certain nombre de questions tout à fait légitimes (A private lesson for the not for profits, May 24, 2011), il présente pour la plus grande part une vision inexacte et généralisatrice du secteur à but non-lucratif, que beaucoup de membres de ce secteur pourraient ressentir comme insultante.

Premièrement, l’idée que les administrateurs bénévoles ont « trop peu d’intérêts en jeu pour s’impliquer pleinement [en termes de gouvernance et d’accountability] » est à la fois erronée et dévalorisante. Les administrateurs des organisations à but non-lucratif ont, au contraire, de nombreux intérêts en jeu, parmi lesquels les plus importants sont sans doute leur devoir fiduciaire légal et leur réputation personnelle. En plus de leur renvoi éventuel, un échec pourrait bien dissuader les donateurs de financer l’organisme, ce qui conduirait les administrateurs à se trouver sans travail (rémunéré ou non). Ils éprouvent également un authentique désir d’assurer une offre de services aussi efficace que possible au profit des bénéficiaires de l’organisation.

Une peinture plus précise rendrait compte du fait que le secteur à but non-lucratif s’impose des normes de plus en plus exigeantes – de même que les autorités qui les régulent et que les individus ou institutions philanthropiques qui les soutiennent. En tant que dirigeante du conseil d’administration de plusieurs organismes à but non-lucratif, et en tant que consultante pour les organismes à but non-lucratif en Angleterre et dans le monde, je n’ai toujours pas trouvé la moindre organisation à but non-lucratif, de quelque taille qu’elle soit, de quelque pays qui soit, qui ne compte parmi ses plus hautes priorités la gouvernance et l’accountability. Ceci est devenu particulièrement vrai suite à la promulgation de la loi Sarbanes-Oxley en 2002 aux Etats-Unis (loi sur la réforme de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs), qui a eu une influence notable sur le secteur à but non-lucratif. Je voudrais mettre en avant des organisations telles que l’Independent Sector aux Etats-Unis, le Comité de la Charte en France (une organisation de promotion de l’accountability autorégulée, au conseil d’administration de laquelle j’ai l’honneur de siéger), Charities Aid Fondation et NCVO au Royaume-Uni, auxquels s’ajoutent une myriade de programmes universitaires et autres groupes de conseil. Les donateurs, le public et les bénévoles réclament de plus en plus des organisations à but non-lucratif qu’elles mettent en place des politiques et des pratiques de gouvernance détaillées et complètes, incluant la supervision de la rémunération des dirigeants, des audits financiers complets et des codes de déontologie et de gestion des conflits d’intérêts.

Par contraste, les conseils d’administrations de la centaine (environ) de startups ou de jeunes entreprises à but lucratif que j’ai eu l’occasion de suivre aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, se situent bien en-deçà des niveaux de gouvernance, d’accountability et, dans la plupart des cas, de déontologie, qu’ont atteints la plupart des organisations à but non-lucratif dûment enregistrées et sollicitant des donations. Un grand nombre de conseils d’administration de startups abondent en conflits d’intérêts et en pratiques de rémunérations douteuses, en grande partie dus au fait que nombre de détenteurs de capitaux propres font partie de ces conseils, et concentrent toute leur attention à leurs propres intérêts financiers au moment de voter.

Les organismes de bienfaisance sont en train de faire des choix délicats, dans un contexte économique fragile. Il est considérablement plus difficile d’attirer des financements de la part de donateurs que de générer des revenus à partir d’offres de services.

Certes, il existe des exemples de conduites intentionnellement mauvaises et criminelles, de promotions d’intérêts personnels, et même d’arrogance parmi les organismes de bienfaisance – de même qu’on en trouve dans le secteur à but lucratif. Mais la plupart d’entre nous, qui dédions nos vies professionnelles et personnelles au secteur à but non-lucratif, gardons à l’esprit ces exemples plutôt comme des leçons utiles et productives pour les autres, et comme des erreurs à ne pas répéter, que comme des occasions de rejeter en bloc le secteur à but non-lucratif.

La généralisation outrancière constitue l’une des plus graves formes d’erreur de gouvernance et d’accountability, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur à but non-lucratif ; considérer que les « intérêts », pour qu’ils puissent prétendre à être significatifs et effectifs, doivent nécessairement être d’ordre financier, en est une seconde.

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