Ce blog propose des recommandations pratiques sur un sujet d’actualité très débattu: l’usage des ratios à des fins d’évaluation des entités à but non lucratif. La seconde partie de ce blog portera sur la recherche actuelle à propos de la pertinence (ou le manque de pertinence!) des ratios.

Le secteur à but non lucratif, y compris les agences de notation et de certification, se focalise de plus en plus sur deux ratios clés: (i) le coût de la collecte de fonds (le montant dépensé pour lever des fonds, parfois exprimé en cents par dollar collecté dépensé dans la levée de fonds) et (ii) la part de revenus relative consacrée aux coûts administratifs et de programme.

Selon mon expérience, la quasi-totalité des organisations internationales craint, à juste titre, les comparaisons avec d’autres organisations, en se basant sur des ratios qui réduisent des analyses complexes à quelques chiffres. Les donateurs, les médias et autres ont une capacité limitée à intégrer dans leurs interprétations des ratios, des facteurs tels que l’impact de secteurs différents, les méthodes de présentation financière, les étapes de développement, et les circonstances exceptionnelles. Inversement, souvent, les organisations opèrent une gestion à courte vue focalisée sur les ratios – prise de décisions de court terme pour maintenir les ratios plutôt que de long terme basées sur l’effectivité de la mission.

Recommandations. Ce qui suit constitue une liste de recommandations, utiles à la fois aux organisations et aux tierces parties en charge d’évaluer les ratios :

  • Les ratios ne sont qu’un facteur – et non pas un seuil à franchir. Les conseils d’administration d’entités à but non lucratif rejettent régulièrement les propositions (ex: une restructuration des opérations), qui impliquent des ressources humaines supplémentaires, ou des coûts additionnels. La question devrait être celle du rapport valeur/argent: Est-ce que la dépense administrative mène à une exécution et un service aux bénéficiaires efficients et améliorés – et qu’en est-il à long terme?
  • Prendre en considération les tendances internationales et les signes avertisseurs tels que des chiffres irréguliers ou exceptionnellement négatifs (ou même positifs). Observez attentivement ce qui influe sur les ratios. Si les coûts administratifs semblent anormalement faibles, y a-t-il eu un évènement exceptionnel à l’origine de la variation des ratios  (par exemple : incapacité à recruter certaines positions, ou afflux de revenus dus à une catastrophe naturelle)? Si les coûts administratifs semblent anormalement élevés, y a-t-il une raison exceptionnelle (par exemple : baisse des revenus des donateurs en raison de la crise financière, couplée avec des dépenses stables de levées de fonds durant l’évaluation initiale, ou encore un investissement informatique essentiel)? Ou l’organisation est-elle une start-up qui a besoin de quelques années de dépenses administratives pour accélérer son activité? Si oui, la tendance est-elle positive, passée la période exceptionnelle? Si les chiffres sont irréguliers, pour quelle raison? Est-ce dû à une méthode de calcul incohérente, à une volatilité dans les chiffres, ou les deux? *
  • Mission. Comment l’organisation remplit-elle sa mission comparativement à d’autres organisations du secteur? Si vous devez comparer les ratios, et je ne le conseille pas, assurez-vous de comparer des secteurs d’activité, tailles, géographies et présentations financières similaires. Mieux encore: trouvez une manière plus complète de communiquer votre exécution de la mission, la viabilité à long terme, et l’accountability.
  • Tendances sectorielles. Surveillez les tendances sectorielles (par exemple : aide humanitaire ou fondations de proximité) comme guide et comme avertisseur, en plus des tendances internes.
  • Qualité des pratiques de collecte de fonds. Faites attention à la qualité de la collecte des fonds: y a-t-il une diversité dans les revenus des donateurs (géographique, de niveaux de dons, de secteurs d’intérêt)? Les pratiques de collectes de fonds sont-elles exemplaires en termes d’éthique (par exemple les méthodes de sollicitation et gestion des fonds des donateurs)? L’intendance (stewardship) est-elle une priorité pour entretenir des relations, et construire des bases solides pour des dons futurs (sans parler de la réputation de l’organisation quant à la gratitude qu’elle exprime à ses donateurs)?
  • Transparence et explications détaillées des composants du ratio. Les ratios doivent être accompagnés d’une explication sur la manière dont numérateur et dénominateur sont calculés. Inclure (i) les composants significatifs des chiffres (par exemple : la part du salaire du Directeur Général allouée aux coûts de collecte de fonds) et (ii) toute question pouvant conduire à rendre le ratio erroné  (par exemple : revenu exceptionnellement important résultant du séisme en Haïti, ou scandale de fraude).
  • Eviter les comparaisons de ratios avec d’autres organisations. Ceci ne fera qu’entraîner les autres (donateurs et concurrents) à le faire. C’est un jeu perdu d’avance.
  • Expliciter les rapports avec les documents financiers. Le Comité de la Charte recommande à juste titre d’établir un lien direct entre les ratios financiers et les déclarations financières (c’est à dire que les chiffres dans les ratios doivent pouvoir être suivis dans les documents financiers[1]).
  • Présentation cohérente des ratios. Les ratios devraient être calculés sur une base cohérente  (en reprécisant au moins une, mais de préférence deux, années précédentes sur la méthode de calcul changée), avec une explication de ce en quoi la méthode de calcul a changé.
  • Agences de notation. Les agences de notation se focalisent largement sur les ratios, et leurs notations et commentaires peuvent avoir une influence sur la réputation d’une organisation. Guidestar propose une approche raisonnable, en se focalisant sur la performance de la mission, reconnaissant qu’elle n’est pas toujours reflétée dans les ratios[2]. Certains proposent des méthodes de calculs incertaines (ex: ne spécifient pas la manière de calculer le coût de la collecte de fonds) et/ou apparaissent redoutablement standards quand en fait, les calculs devraient souvent être spécifiques aux associations. Il s’ensuit à la fois des comparaisons potentiellement trompeuses entre organisations à but non lucratif, des points de vue erronées concernant une organisation spécifique, et même une revalorisation ou rétrogradation très publique de la notation, sans raison légitime. Par exemple, le fait qu’une organisation à but non lucratif dépense 10 cents pour lever chaque dollar pourrait indiquer une incapacité à  dépenser les fonds de manière effective (par exemple : incapacité à  recruter pour un département de collecte de fonds de long terme). Encore une fois, ces questions sont spécifiques aux organisations considérées.

Les organisations à but non lucratif ne sont pas une série de numérateurs et dénominateurs. Ne les réduisez pas à cela. Par dessus tout, ne perdez pas de vue la mission. Enfin, comme toujours dans ce blog, utilisez la « prospective 20/20 » (“20/20 Foresight”) : considérez la manière dont vos décisions seront observées dans le futur. Les commentaires sont les bienvenus !

[1] Le Comité de la Charte, une organisation française de contrôle d’accountability, fournit des conseils utiles sur les ratios : http://www.comitecharte.org/sites/default/files/recommandations_ratios_2007.pdf  (Je fais partie du Conseil d’administration du Comité de la Charte, mais ce blog est totalement indépendant de ce rôle et ne reflète aucunement les points de vue de cette organisation). Le formulaire 990 des autorités fiscales américaines (The Internal Revenue Service ou IRS) a été revisité après une longue période de sollicitation de commentaires de la part du secteur à but non lucratif et des experts. L’IRS a finalement choisi de ne pas exiger les ratios en raison des comparaisons trompeuses souvent réalisées. Voir. http://www.irs.gov/pub/irs-tege/background_paper_form__990__redesign.pdf.

[2] Voir Guidestar : Why Ratios Aren’t the Last Word. http://www2.guidestar.org/rxa/news/articles/2004/why-ratios-arent-the-last-word.aspx.