Mercredi dernier, le 21 Juin, j’ai eu le grand privilège de me voir proposer un siège réservé à la conférence du Dalaï-Lama à la London School of Economics and Political Science, où j’avais eu cet autre grand privilège d’obtenir mon PhD en Politique Sociale (« Social Policy »). Sa sainteté a fait preuve de son habituelle et indescriptible manière d’exprimer les défis humains les plus complexes en un seul mot, ou une seule phrase. Le mot que je choisis pour objet de ce blog est : « unité » (« oneness »).Par « unité », sa sainteté voulait signifier que nous sommes tous un et le même : tous des êtres humains. Il voulait également dire que nous sommes tous interdépendants. Dans son cas, il lui est donné de percevoir la connexion qui existe entre lui et tous les autres êtres humains qu’il rencontre, et la façon dont ses actions envers les autres l’affectent en retour. En ce qui me concerne, je continue de travailler à intégrer cette philosophie dans mes interactions avec les autres. C’est ce que devraient faire les organisations à but non lucratif.

Pour commencer, la vision du Dalaï-Lama selon laquelle nous sommes tous interdépendants est particulièrement pertinente au niveau du rôle d’une organisation à but non lucratif dans la résolution des problèmes globaux. Quelle serait l’organisation à but non lucratif qui ne dépendrait pas d’un ou plusieurs des acteurs suivants : donateurs, bénévoles, gouvernement, organisations multilatérales, autres organisations à but non lucratif, entreprises commerciales, bénéficiaires, conseillers extérieurs…? Bien souvent les bénéficiaires, sur lesquels toute analyse d’une organisation à but non lucratif devrait rester clairement focalisée, dépendent non seulement de plus d’une organisation à but non lucratif à la fois (par exemple, dans le sillage du tremblement de terre à Haïti, l’aide médicale, l’eau, les abris), mais également (directement ou indirectement) d’une constellation d’autres acteurs. Prenez cet autre exemple : une merveilleuse organisation locale, du nom de « Mayor of London’s Fund for Young Musicians », qui finance les études et les opportunités musicales de jeunes défavorisés – tout en leur enseignant, par le biais de la musique, l’art d’intégrer une équipe et de former un tout plus grand que la somme de ses parties individuelles, et en leur montrant les bénéfices qui peuvent en être retirés.

Comment l’ « unité » se manifeste-t-elle au niveau d’une organisation à but non lucratif ?

L’interdépendance – l’unité – devrait être centrale dans toutes les décisions de management, de même que dans le travail de gouvernance et d’accountability du conseil d’administration, le planning stratégique, et la viabilité financière. L’interdépendance devrait sous-tendre toutes les politiques organisationnelles. Elle devrait se faire jour au niveau individuel, celui des interactions de personne à personne (ou même d’email à email), et au niveau des interactions entre organisations. Se demander quelles actions et/ou quels mots affecteront les autres à tous les niveaux de l’organisation en interne, et dans toutes ses interactions à l’externe, devrait faire partie intégrante de la culture organisationnelle.

En outre, les organisations à but non lucratif sont de plus en plus appelées à partager leurs enseignements – les erreurs commises et les leçons qui en ont été tirées, les succès et les réussites. Parfois, l’appel provient des personnes qui financent l’organisation. La Fondation Bill and Melinda Gates parle de son engagement à « partager les leçons que nous tirons de notre processus de donation. Il est crucial que nous surveillions nos progrès, que nous considérions quel impact a notre travail, que nous étudions les conclusions des recherches et des rapports, et que nous communiquions les résultats[1] ». La Fondation Antigone de l’entrepreneur Martha Lane Fox pose comme condition aux donations qu’un projet donné permette de « partager avec d’autres organisations de leur secteur les leçons ayant été tirées[2] ».  D’autres fois, l’appel vient des conseillers. À Susan Liautaud & Associates Limited, nous demandons à nos clients, afin qu’ils puissent bénéficier de nos conseils pro bono, de faire eux aussi part de leurs enseignements. Plus généralement, je conseille aux clients, quant à leur code de déontologie, de prendre éventuellement en considération leur obligation de partager leur savoir – avec les donateurs, les bénéficiaires, le secteur à but non lucratif dans son ensemble (y compris, certes, avec leurs concurrents potentiels). J’adopte le même point de vue au sein des conseils d’administration où je siège. Plus généralement, les défis sont tout simplement trop nombreux, il existe trop de personnes dans le besoin, trop peu de ressources, et trop peu de temps à perdre pour pouvoir même considérer l’apprentissage comme un avantage compétitif ou un secret organisationnel. Se demander comment votre organisation partage son apprentissage avec les autres, et tire effectivement enseignement du travail des autres, afin d’éviter de réitérer le travail déjà accompli ou les erreurs commises, devrait faire partie intégrante du management et constituer, pour l’organisation, l’éthos et la méthodologie du conseil d’administration.

Pour finir, le prolongement de l’ « unité », selon sa sainteté, est la compassion. Les organisations devraient adopter une attitude d’apprentissage, et non de critique, vis-à-vis des autres organisations. Il est trop aisé de lire avec suffisance les articles de journaux quand une autre organisation fait les gros titres pour de mauvaises raisons. La meilleure attitude consiste à prendre ces articles comme des opportunités de renforcer votre propre organisation, et de faire démonstration d’un tact mesuré vis-à-vis de l’autre organisation. Quelle serait l’organisation à but non lucratif qui n’aurait jamais commis une erreur, ne se serait jamais trompée au moment de juger d’une situation, et qui ne serait pas sujet au caractère humain, et par conséquent faillible, de sa gestion – même en dépit des meilleures pratiques de gouvernance et de gestion du risque ?

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[1] What We’re Learning, Bill & Melinda Gates Foundation. – Citation complète : « La Fondation s’engage à partager les leçons que nous tirons de notre processus de donation. Il est crucial que nous surveillions nos progrès, que nous considérions quel impact a notre travail, que nous étudions les résultats des recherches et des rapports, et que nous communiquions les résultats ». – “The Foundation is committed to sharing the lessons we learn throughout our grant making process. It’s crucial that we monitor our progress, consider what impact our work is having, study the findings of research and reports, and communicate the results.”

[2] A Propos d’Antigone : http://www.marthalanefox.com/antigone/