Trois scénarios :

J’ai eu récemment le grand privilège d’être conviée à un dîner en compagnie d’un certain nombre d’acteurs de la lutte contre le changement climatique. Les participants venaient d’horizons différents : milieu académique, gouvernement, secteur commercial, secteur philanthropique, cabinets de conseil pour le secteur non lucratif, conférences internationales – seules les organisations multilatérales n’étaient pas représentées. Comme de coutume, et ainsi qu’il est intéressant de procéder, chaque participant s’est exprimé selon son expérience personnelle. Pourtant, pendant cette soirée aucun commentaire ne fut fait qui portât sur le rôle le plus efficace que chacun de ces acteurs pourrait jouer, ni sur la coopération la plus efficace qui pourrait être instaurée entre eux.

De façon comparable, lors des réunions du conseil d’administration des ONG, les administrateurs reconnaissent volontiers le fait que l’organisation ne résoudra pas les problèmes globaux à elle seule, en particulier alors que ses ressources s’amenuisent. Cependant, les discussions stratégiques individuelles de ces organisations n’incluent que rarement de vision panoramique de tous les acteurs indispensables et du rôle qu’il leur serait approprié de jouer pour la résolution des problèmes auxquels les ONG se confrontent.

Enfin, j’ai eu le grand privilège de participer en compagnie de plusieurs femmes à un déjeuner de discussions sur le sort des femmes dans les prisons du Royaume-Uni. L’une d’entre elles appartenait à une grande banque, une autre était administratrice d’un « trust » à but non lucratif, une autre journaliste, une autre une ancienne détenue, sortie de prison pour une expérience professionnelle. De cette conversation, basée sur des exemples précis et nourrie de contributions individuelles (tous à la fois fascinants et, heureusement, réalistes) la plus grande difficulté qui apparut était le manque de compréhension quant à la façon dont ces différents acteurs engagés dans le problème des femmes en prisons, ainsi que le gouvernement et le système carcéral lui-même, devraient travailler ensemble.

Deux questions :

Premièrement, quel est le rôle à la fois le plus efficace et le plus approprié déontologiquement à confier aux myriades d’acteurs tâchant de résoudre les problèmes globaux (qu’ils soient issus de l’université, du gouvernement, du secteur commercial, du secteur philanthropique, des organisations non lucratives, des organisations multilatérales, ou du circuit des médias et conférences internationaux) ? Quelle est la meilleure façon de les faire travailler de concert ? Deuxièmement, existe-t-il une façon de distiller les meilleures pratiques et les meilleurs méthodes afin que ces différents acteurs travaillent ensemble sans avoir à réinventer la roue à chaque nouveau problème (tout en reconnaissant les variations qui existent nécessairement aux points de vue technique, légal et humain entre par exemple la lutte contre le Sida/HIV et celle contre le changement climatique) ?

L’enjeu est complexe et plonge des ramifications dans la gestion de l’incertitude et les problèmes abordés dans le « 20/20 foresight », qui sont le sujet de ce blog. Cet enjeu se fait jour au plus haut niveau, comme par exemple à l’occasion du World Economic Forum de Davos, aussi bien qu’au niveau des petites organisations non lucratives locales.

Les questions à considérer. Du point de vue d’une organisation à but non lucratif, les questions suivantes sont clefs :

  • Qui d’autre se situe sur le même terrain que vous – c’est-à-dire, quelles autres organismes à but non lucratif ? Quelle est votre valeur ajoutée par rapport à eux ? Comment pourriez-vous (et devriez-vous) travailler ensemble ? Qui est, d’entre vous tous, le plus à même de proposer ses programmes et ses services ? Comment gérer les éventuelles redondances entre votre organisation et les autres ?
  • Quels acteurs gouvernementaux sont sur le même terrain que vous ? Quelles organisations multilatérales ? Quels acteurs du monde universitaire ? commercial ? Quelles autres parties prenantes ? Dessinez le plan des apports des uns et des autres : ressources, savoir et expertise, capacité à offrir des services, capacité à évaluer la qualité et l’impact de ces services, et capacité à offrir l’assistance requise (par exemple, la sécurité ou l’eau). Existent-ils des opportunités de partenariat (ou même un devoir de travailler ensemble) ? Etes-vous en charge de tâches que d’autres, mieux que vous, seraient en mesure d’assumer ?
  • Que manque-t-il à votre base de ressources que vous auriez besoin d’obtenir d’une autre organisation ?
  • Que manque-t-il à telle autre organisation, ou aux efforts qu’elle produit, que votre organisation pourrait lui apporter ?
  • Quel est le meilleur point d’entrée à offrir aux fondations et à la philanthropie individuelle – en garantissant à la fois une efficacité et une éthique maximales, et en leur permettant de rester dans la ligne de leurs propres intérêts et de leur mission tout en rendant de vrais services à votre organisation et au secteur non lucratif ?

Stratégie et réalité. Enfin, incluez dans votre planning stratégique des processus d’analyse de tous les acteurs et de toutes les parties prenantes autour d’un problème donné. Qu’apporte chacun – éthiquement, pratiquement, du point de vue de ses programmes, et financièrement ? Le secteur commercial a des limites légales dans sa responsabilité de maximiser la valeur pour les actionnaires. La CSR[1] peut faire partie de cette stratégie, mais elle a ses limites. Les ONG qui essaient de maintenir leur indépendance doivent exclure certaines sources de financement gouvernementales et d’entreprises. Elles ont aussi des ressources limitées, des missions ciblées, et souvent des difficultés d’accès (en raison par exemple de problèmes de sécurité, de barrières politiques, ou de difficultés d’accès aux patients). Les ressources gouvernementales sont aujourd’hui de plus en plus limitées ; leur utilisation fait l’objet de pressions politiques (par exemple, le fait de ne pas donner à l’Inde en dépit de la pauvreté qui s’y rencontre, à la lumière de la situation économique du pays et de la richesse individuelle aux plus hauts niveaux). Les gouvernements ont des difficultés à engager vraiment le secteur bénévole (exemples : la confusion qui règne autour de la « Big Society » au Royaume-Uni, ou l’échec permanent de la reconnaissance de la valeur d’opportunité professionnelle du bénévolat en France). Une personnalité influente des milieux universitaire et politique, issue de la London School of Economics and Political Science (LSE), faisait récemment remarquer que la LSE apportait son enseignement (au public aussi bien qu’aux étudiants de l’école) et faisait paraître des articles de recherche éminents, mais ne faisait pas de plaidoyer (tout en tirant profit des militants). Les philanthropes apportent des ressources et à l’occasion, de l’expertise. Cependant, il y a un risque croissant que l’argent finisse par orienter les missions des organisations du monde non lucratif.

En résumé, définir votre rôle requiert de comprendre celui que joue les autres. C’est un problème de stratégie, d’accountability et de gouvernance, aussi bien qu’un problème opérationnel.

Comme à l’accoutumée, vos questions et remarques sont les bienvenues.

Copyright© 2012 Susan Liautaud. All rights reserved

[1] CSR : RSE en français (Responsabilité Sociétale des Entreprises).