Il n’était pas 8h30 ce matin que déjà, j’avais trouvé quatre références différentes au court-termisme (« short-termism ») qui grève notre politique, nos interactions sociales, et nos prises de décisions. Une cinquième persistait dans mon esprit depuis un dîner datant de la semaine dernière. Déterminer le bon cadre temporel sous-tend tous les problèmes du secteur à but non lucratif.

  •  La première de ces références se trouvait dans le nouveau livre de Jeffrey Sachs, The Price of Civilization, dans lequel il parle de « prendre des responsabilités morales vis-à-vis du futur en acceptant cette réalité, que nos actions d’aujourd’hui déterminent le destin des générations à venir [1] ». Il déplore également que « l’horizon de temps de la délibération publique en Amérique réduit à une échelle inconcevablement brève[2] ».
  • La seconde m’apparut au petit déjeuner, que je prenais avec un ami de longue date et un autre plus récent, tous deux profondément engagés dans les questions sociales et politiques américaines et européennes : nous y parlions du court-termisme des politiques américaines… et de son impact sur la société civile.
  • La troisième était liée à mon effort d’évaluation qualitative des analyses d’impact que conduisent nombre d’organisations à but non lucratif. (Se reporter par exemple au nouveau livre, absolument remarquable, de Mario Morino Leap of Reason: Managing to Outcomes in an Era of Scarcity). L’une des questions fondamentales dans l’analyse de l’impact est de déterminer quel horizon de temps, à court ou à long terme, doit déterminer cette analyse.
  • La quatrième prenait appui sur un nouveau site web, correspondant au projet fascinant de la LSE appelé « Action pour le bonheur[3] ». En dépit des recherches économiques sous-jacentes, et de l’extraordinaire puissance intellectuelle sollicitée, la question du cadre temporel du bonheur reste posée.
  • La cinquième intervint lors d’un dîner auquel j’ai eu le privilège d’être conviée la semaine passée, en compagnie d’un éminent auteur et éducateur britannique, d’un leader bouddhiste bien connu, et d’un économiste distingué. Un élément fondamental de la conversation qui se tint portait sur la relation entre altruisme et économie, et en particulier sur les bénéfices paradoxalement égoïstes de ce comportement, l’altruisme, dont le premier sens que lui donnent la plupart des dictionnaires est celui de « désintéressement ». Une question récurrente à notre table était la suivante : combien de temps faut-il attendre avant de ressentir pour soi les bénéfices de son altruisme ? (En particulier, la question était de savoir si les enfants de la génération « Angry Birds »  auront jamais la patience requise pour témoigner de ce type de comportement).

Plusieurs mises en gardes fondamentales me viennent à l’esprit, qui toutes sont liées à ce thème auquel je fais allusion de façon récurrente : le 20/20 foresight dans le secteur de la société civile, et au danger du court-termisme.

  • Le cadre temporel dédié à l’information nourrissant la prise de décision.

    L’immédiateté d’internet, des Smartphones, et des autres outils modernes (même des micro-ondes, qui délivrent immédiatement de la chaude et fumante junk food) affecte notre capacité à prendre des décisions efficaces. En nous submergeant ainsi à la vitesse de l’éclair, l’information sur laquelle repose le processus de prise de décision perd, à tout le moins, en qualité. Nous ne pouvons tout simplement pas l’intégrer tout entière, ni sélectionner, en elle, les éléments de qualité, pertinents pour prendre notre décision. Tout ce qui résulte de nos prises de décisions, que ce soit en termes de vote, de stratégie organisationnelle, de politique sociale, et à l’évidence dans nos relations personnelles, pâtit de cet appauvrissement informationnel. Nous devons insister sur une perspective combinant le court, le moyen et le long terme.

  • Cadre temporel de la planification. Une crise comme la crise financière actuelle a tendance à nous faire nous concentrer sur l’immédiat, et à mettre en péril l’efficacité de nos planifications. Les organisations se concentrent plutôt sur la gestion des problèmes de court terme, comme le besoin éventuel de réduire le nombre d’employés, ou tout au moins de ralentir ou d’interrompre l’embauche, de respecter le budget de l’année en cours et de celle qui vient, et sur l’impact immédiat que ces décisions auront sur les bénéficiaires. Il est beaucoup moins probable que les donateurs s’engagent à long terme compte tenu de l’instabilité de l’environnement économique. Il est pourtant essentiel de penser à plus long terme, de telle façon que la crise actuelle ne devienne pas une crise chronique.
  • Un cadre temporel étroit dans l’évaluation de l’impact du secteur à but non lucratif. Le bon cadre temporel pour l’évaluation de l’impact varie selon les organisations et les donateurs. Il doit inclure le court, le moyen, et le plus long terme. Le cadre temporel a des répercussions sur la question basique de toute organisation, celle de savoir si l’organisation n’est pas en train de causer du tort, ainsi que sur celle, plus stratégique, de l’efficacité de ses performances. Par exemple, un centre communautaire pour les enfants défavorisés peut certes aider à nourrir et à prendre soin des enfants aujourd’hui, mais la vraie question est-elle : les enfants resteront-ils en bonne santé jusqu’à tant qu’un soin alternatif leur soit disponible ? qu’ils soient diplômés du secondaire ? qu’ils soient assurés d’avoir du travail tout au long de leur vie d’adultes ? qu’ils soient à l’abri d’une implication dans des activités criminelles ou de l’usage de drogues ?
  • Le cadre temporel dans l’engagement pour la société civile. La question du cadre temporel est ostensiblement absente des débats actuels sur l’engagement civique (même dans ceux qui se rapportent à la « Big Society » de David Cameron). Le fait de se concentrer sur le court terme (la prochaine élection ? le transfert d’un service initialement gouvernemental à des volontaires ?) peut causer du tort aux perspectives de moyen et long terme. Nous devons prendre en compte le point de vue critique de Jeffrey Sachs et résister à un court-termisme qui ne tiendrait pas compte des conséquences politiques de nos choix, en commençant par nous demander comment nous élevons et éduquons nos enfants. Jusqu’à tant que nous mettions à jour les buts à moyen et long terme de la « Big Society », nous ne devrions pas jouer avec le court terme.

Comme toujours, les commentaires, les questions et les demandes d’informations pour les clients sont bienvenus.

Copyright 2011 Susan Liautaud. All rights reserved

[1] « taking moral responsibility for the future, accepting the reality that our actions today will determine the fates of generations yet to live ».

[2] « the time horizon of public deliberation in America has shrunk to an unimaginably brief scale »

[3] Action for Happiness.