Gouvernance, Accountability, Transparence et Éthique « First in Class » : La Loi est le Plus Petit Dénominateur Commun, et non la Meilleure Excuse : Première Partie
J’ai récemment reçu deux alertes Google par email : la première était un article à propos du scandale de la Croix-Rouge en Chine (expliquant l’impact, sur la réputation de cette organisation, des propos d’une jeune femme se présentant comme gestionnaire d’une division de la Croix Rouge – dont la Croix Rouge nie l’existence – et photographiée juchée sur une voiture de luxe). La seconde présentait une nouvelle règle de transparence pour les donations en Chine (requérant la révélation d’un certain nombre d’éléments au sujet des donations, des pratiques de levées de fonds, et de l’utilisation des fonds).
Il arrive que des scandales se produisent – indépendamment des lois, de la qualité du conseil d’administration et de l’équipe de management, et de celle de l’organisation. Cet état de fait relève de la nature humaine, et il n’est aucun mécanisme d’accountability, qu’il soit légal ou spontané, qui puisse nous garantir contre la nature humaine. La Croix Rouge Chinoise doit être félicitée pour sa réponse dynamique à ce problème qui aurait pu arriver à n’importe quelle ONG, et le gouvernement chinois pour sa prompte réponse législative. L’une et l’autre nous permettent cependant de nous souvenir que la loi n’est que le plus petit dénominateur commun, et que son simple respect n’implique pas que l’on ait atteint les plus hauts standards en matière de gouvernance, d’accountability, de transparence et d’éthique (ensemble que je désignerai sous l’acronyme « GATE ».)
Il existe une myriade d’organismes de conseil internationaux en accountability – depuis le Better Business Bureau, l’Independent Sector ou Guidestar aux Etats-Unis, à New Philanthropy Capital et NCVO au Royaume-Uni ou le Comité de la Charte en France, en passant par diverses institutions académiques[1] – qui mettent à la disposition des organisations des exemples des meilleures pratiques. Le secteur à but non lucratif, jusques et y compris au sein de systèmes légaux très développés, se demande continument comment améliorer GATE. Les systèmes légaux très développés qui régissent le secteur à but non lucratif sont la preuve que la loi est insuffisante, et qu’une approche volontariste de GATE est essentielle – pour se protéger contre les scandales, pour satisfaire la demande des donateurs, et même pour faire fonctionner, en interne, une organisation internationale hautement déontologique. Dans les systèmes légaux moins développés, et/ou dans des contextes politiques plus instables, l’engagement de la société civile a pris un nouveau sens depuis les manifestations d’une partie de la population pendant le réveil Arabe, l’éclosion de la philanthropie en Chine, les protestations en Russie, et les nouveaux besoins émergeant dans des zones comme la Corne de l’Afrique et le Soudan. A ces pays font défaut, non seulement un système légal bien développé pour les organismes à but non lucratif, mais plus globalement un système stable pour faire respecter les obligations légales, encadrer la défense des droits élémentaires, stabiliser le régime de la propriété intellectuelle ou celui du droit à la terre, résoudre les litiges, et autres. Les systèmes légaux les moins développés parmi ceux encadrant les organismes à but non lucratif sont la preuve qu’une réglementation insuffisante ne saurait constituer une excuse, et qu’une approche volontariste de GATE peut pallier l’absence d’une loi.
Les systèmes légaux varient considérablement entre eux. En Chine, le régime de réglementation philanthropique et des organismes à but non lucratif se développe de façon impressionnante. Les réquisits des Etats-Unis en la matière sont sophistiqués, mais ils ne sont pas exhaustifs. Parmi les plus remarquables d’entre eux, on compte le Sarbanes-Oxley Act sur le « lanceur d’alerte » (whistleblower) et la conservation des données, ou encore le formulaire 990 de l’Internal Revenue Service[2], efficace, effectif et transparent. L’absence de certains éléments de régulation reflète en partie les efforts dynamiques que produit actuellement le secteur à but non lucratif pour devancer une régulation excessive en s’autorégulant – fort de cette conclusion, tout à pertinente, selon laquelle l’autorégulation se montre souvent plus effective et appropriée qu’aucune sur-régulation. En France, on prête une attention extrême à l’utilisation des fonds, en particulier suite à l’audit encyclopédique de l’utilisation des fonds en faveur des victimes du tsunami de 2004 par la Cour des Comptes (l’autorité comptable française). L’utilisation des fonds des donateurs est incontestablement importante ; cependant, on gagnerait à prêter attention aussi à certains éléments-clefs, qui font toujours défaut, comme la supervision indépendante du CA, les conflits d’intérêts, et la mise à disposition du public des informations relatives à l’organisation, comme le permet et le requiert, aux Etats-Unis, le formulaire 990. Une organisation comme l’ARC (Association for Cancer Research) effectue volontairement un double audit externe et encadre scrupuleusement les conflits d’intérêt, en partie parce qu’elle a dû répondre dans les années 1990 à un scandale, de façon dynamique, transparente et autocritique. La loi française ne s’est toujours pas mise au niveau de l’ARC, même en ayant pu constater l’impact considérable qu’a eu le problème rencontré par cette organisation sur le secteur des organismes à but non lucratif.
Une partie du problème tient à ce que la diversité des tailles et des secteurs des organisations à but non lucratif requiert une diversité analogue dans les approches de GATE, lesquelles devront, dans chaque cas, tenir compte de ce qui est nécessaire, faisable, et approprié. La loi ne devrait pas sur-réguler, et par conséquent risquer de dissuader la formation d’organisations à but non lucratif, ni générer aucune charge administrative excessive. De la même façon l’absence, ou la faiblesse de la loi, ne devraient pas servir à justifier qu’on ne fasse aucun effort (en termes de GATE) pour se mettre au niveau des meilleures pratiques internationales.
Ce post constitue donc à la fois un message positif d’encouragement, et un respectueux rappel :
- Les organisations à but non lucratif doivent respecter les lois et les traités locaux, nationaux et internationaux.
- Les organisations à but non lucratif peuvent devenir par elles-mêmes first in class en termes de GATE, indépendamment de la loi (ou même en dépit de la loi). Si la législation est toujours en train de se développer, ou si le système légal du pays où se tiennent vos opérations est en effervescence, vous pouvez agir de façon indépendante – relativement facilement et sans que ce soit onéreux – afin d’élever vos pratiques de GATE jusqu’aux standards internationaux first in class (y compris, si nécessaire, afin d’attirer des donations internationales).
- A l’inverse, les organisations à but non lucratif ne peuvent pas se reposer seulement sur la loi, quel que soit le niveau d’avancement de celle-ci, pour prétendre être first in class en termes de GATE. Une approche volontariste de GATE sera toujours nécessaire, indépendamment de la taille ou du secteur de l’organisation.
Comme à l’accoutumée, les commentaires et les questions sont les bienvenus.
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[1]J’ai le privilège de remplir la fonction de directeur externe indépendant au Comité de la Charte. Les opinions exprimées dans ce post sont intégralement indépendantes de celles du Comité de la Charte, de son équipe de management et de son conseil d’administration, ainsi que de ma fonction au sein du Comité.
[2]http://www.irs.gov/charities/article/0,,id=169250,00.html