Je crois au contexte. Les organisations devraient toujours se replacer dans un contexte – l’environnement financier, les meilleures pratiques en matière de gouvernance/accountability, ou encore les standards de rémunération des dirigeants séniors. À une exception : lorsqu’une organisation est en situation de crise de gouvernance/accountability ; car alors, quel que soit le contexte, c’est sur elle – et elle seule – que devrait se concentrer toute l’attention.

Je crois aussi en la communication professionnelle. À une exception : lorsqu’une organisation est en situation de crise de gouvernance/accountability ; car alors, quelque nécessaire et brillante que puisse être l’expertise des médias dans un contexte de crise, toute l’attention se reporte sur l’organisation, et sur les politiques et les pratiques de gouvernance/accountability de premier ordre qu’elle aura – ou non – mises en place avant que la crise n’intervienne. S’ils ne peuvent se fonder sur la préexistence de ces politiques à la crise, les experts en communication ne pourront tout simplement rien faire, ni rien dire.

Les suggestions que je formule ci-dessous sont le fruit de mon expérience et de mes recherches en matière de crises de gouvernance/accountability, et évaluent la relation entre les problèmes liés au contexte, et la nécessité d’une gouvernance et d’une accountability fermement assises. Une des organisations avec lesquelles j’ai travaillé dut surmonter une crise lorsque l’un des membres de son équipe financière se rendit coupable d’escroquerie en détournant certains chèques. Une autre dut interroger la convenance de certaines techniques de levée de fonds. Dans une autre, un membre important du comité exécutif se trouvait engagé dans des transactions financières avec l’organisation, sans que soit mis en place aucun processus d’appels d’offres ouverts ni aucune politique de gestion des conflits d’intérêts. Mais indépendamment même de ces anecdotes, dont la liste est sans fin, tout ce qui suit reste vrai.

  • Prenez vos responsabilités. Prenez toutes vos responsabilités vis-à-vis de toutes les fautes commises. Expliquez comment, quand, pourquoi, et par qui elles sont arrivées. Déterminez clairement les frontières des répercussions négatives que l’on peut attendre de l’évènement ; agissez de même pour les frontières positives (c’est-à-dire, annoncez tout ce que cet évènement n’affectera pas). Un exemple de détermination des frontières positives peut être trouvé dans un reportage paru récemment dans la presse : la légitimité d’une importante donation à la LSE[i] y était remise en cause, parce qu’elle était le fait d’un donateur libyen suspecté d’entretenir des relations avec le régime de Kadhafi. Or, quelles que soient les décisions de la LSE à l’égard de ses dirigeants (en particulier la démission de l’éminent Howard Davies) ou à l’égard des améliorations à envisager en matière de gouvernance/accountability, cette remarquable institution reste en interne et à l’externe, du point de vue de l’excellence académique et de ses contributions savantes et pratiques, parfaitement intacte. Il est également essentiel de distinguer soigneusement les différents éléments du problème : ici encore, les équipes de la LSE, de façon justifiée, décidèrent de séparer le problème de l’origine du don, de l’accusation de plagiat qui visait l’un des affiliés du donateur dans sa thèse de doctorat. Enfin, lorsque d’autres entités que la vôtre (y compris les médias) essaient, pour prendre votre défense, de blâmer ou de signaler en votre nom des erreurs similaires commises par d’autres institutions prestigieuses, résistez à la tentation d’accepter cette pseudo-assistance (voir ci-dessous).
  • Expliquez. Expliquez en détails ce que vous allez faire pour (1) remédier à la situation et (2) améliorer les processus et les politiques en place, afin de prévenir d’autres occurrences potentielles de ce type de crise. À nouveau, expliquez comment, quoi, quand, par qui, avec quelles ressources et dans l’attente de quels résultats vous allez entreprendre ces changements.
  • Communiquez. La communication doit être rapide, claire et exhaustive. Après cela, c’est terminé. Pas de détails au compte-gouttes. Ne vous attardez pas sur les nouvelles d’hier. Faire paraître, comme il se doit, des mises à jour rapides, exhaustives et claires (donc pas au compte-gouttes) : par elles, maintenez la plus entière transparence eu égard aux progrès et aux éventuels effets secondaires négatifs de la mise en place du “remède” et des améliorations pour le futur. Assurez-vous de ce que la communication atteint bien toutes les parties prenantes – dont fera partie, dans bien des cas, le grand public.
  • 20/20 foresight et les médias. Lors d’une crise, les organisations courent souvent au média professionnel le plus proche. Certaines essaient même de recruter des experts des médias au sein de leur conseil d’administration. Si la communication est indubitablement essentielle, elle n’a aucun sens si elle ne repose pas sur des pratiques et des politiques de premier ordre en gouvernance/accountability. Sans ce fondement, la stratégie de communication la plus soignée n’est en mesure de présenter qu’un seul aspect de l’histoire : le problème. Presque tous les scandales publics (que ce soit celui du Red Cross Liberty Fund aux Etats-Unis impliquant l’allocation des fonds reçus pour les victimes du 11 Septembre à des besoins futurs, ou la fraude du trader de la Société Générale) apparaissent largement tempérés si l’organisation peut démontrer la préexistence, sous-tendant le fonctionnement le plus ordinaire de l’organisation, d’une liste de pratiques et de politiques de premier ordre en gouvernance/accountability. Régulièrement abordé sur ce blog, le 20/20 foresight requiert la mise en place immédiate de mécanismes solides, de façon à pouvoir renvoyer à ces pratiques de premier ordre quand survient un problème. À cet égard, veuillez remarquer que je dis bien “quand”, et non pas “si” un problème survient. La nature humaine et le niveau actuel de complexité organisationnelle sont tels qu’aucune organisation, indépendamment de sa gouvernance, n’est protégée des mauvaises actions intentionnelles, ni même des erreurs résultant d’un jugement pourtant bien intentionné (lequel, cependant, semblera toujours moins bien intentionné à mesure que le temps passe). Les donateurs, le public et les autres parties prenantes pardonnent l’inévitable… mais uniquement si ce qui peut être évité l’est en effet.
  • Ne montrez pas du doigt et ne jouez pas à des jeux à somme nulle (« zero sum game »). Veuillez noter qu’aucun paragraphe ci-dessus ne suggère de « désigner les autres organisations ayant commis les mêmes erreurs » (c’est-à-dire, de déclarer que tout est relatif), ni de « vous trouver des excuses ». Montrer les autres du doigt (par exemple, des institutions autres que la Croix Rouge, qui auraient levé des fonds dans un but défini avant de les employer, de façon inappropriée, pour un besoin distinct) satisfera deux intentions peu louables. Premièrement, vous semblerez vous excuser de votre comportement sur la base du mauvais comportement des autres. Nous apprenons aux enfants de trois ans qu’ils ne sont pas justifiés à frapper sous prétexte que d’autres enfants le font… Soyez plutôt cette organisation qui se demande : « comment pourrions-nous tous nous améliorer de concert? », que celle qui se cache derrière la notion, tout à fait déplacée, de relativité (« nous n’étions pas les seuls »). Deuxièmement, cela fera de vous les ennemis de l’autre organisation, et de façon plus générale, détériorera votre réputation de force de soutien du secteur à but non lucratif. Lorsque j’étais jeune avocate à Sullivan & Cromwell, un associé sénior donnait ce remarquable conseil : « ne montre jamais publiquement du doigt l’erreur d’un autre avocat, parce qu’un jour ce sera ton tour d’en commettre une – sans même parler du fait que cela ne sert strictement à rien pour résoudre le problème ». Les organisations, du secteur à but non lucratif ou du secteur à but lucratif, de quelque taille qu’elles soient, doivent être capables de compter les unes sur les autres pour préserver la réputation du secteur. Améliorer la gouvernance/accountability n’est pas un jeu à somme nulle. Si vous y jouez ainsi, vous en sortirez perdants… à la fois quant au problème que vous essayez de résoudre, et quant à votre réputation à long terme.

Comme à l’accoutumée, commentaires, questions et candidatures pour les clients pro bono sont les bienvenus.

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[i] J’ai l’extraordinaire privilège d’être titulaire d’une thèse de doctorat de la LSE en Politique Sociale.