J’ai assisté récemment à la réunion d’un conseil d’administration au sein duquel n’existait pas de politique de conflits d’intérêts formelle. Grâce à l’intervention d’un membre senior siégeant de longue date au conseil, qui rappela à tous les membres que ceux d’entre eux susceptibles d’être engagés pour des raisons financières dans un conflit d’intérêt ne devraient pas voter, la réunion put se dérouler de façon appropriée.

Une bonne gouvernance repose sur la capacité qu’ont les membres du conseil d’administration de s’exprimer, que ce soit à propos des politiques à mettre en place, au sujet de problèmes qui surviennent et qui, quoique manifestement néfastes, ne font l’objet d’aucune politique écrite, ou encore à l’égard de tout ce qui relève de la bonne gouvernance. Les politiques écrites sont importantes, mais elles sont inutiles si elles ne sont pas activement appliquées. La bonne gouvernance requiert une participation dynamique aux réunions et, entre les réunions, une communication au sein de groupes plus petits, qui permette de suivre la mise en place des décisions ayant été prises, et de surveiller la potentielle émergence de problèmes imprévus.

Préparer la prise de parole.

Avant de vous rendre à une réunion du conseil d’administration, demandez-vous toujours quelle est votre position sur chacun des problèmes s’apprêtant à être débattus – ainsi que sur quoi se fonde cette position -, indépendamment du fait qu’un vote formel soit prévu ou non au cours de la réunion. Quels sont les potentielles alternatives et/ou les amendements à la solution proposée qui pourraient augmenter l’efficacité de l’organisation, réduire les risques auxquels elle est confrontée, lui permettre de serrer de plus près sa ligne stratégique, ou améliorer son éthique/accountability/transparence/gouvernance? Quelles informations vous font défaut afin de pouvoir vous exprimer efficacement? Enfin, comme il est d’usage eu égard à la méthode du « 20/20 foresight » que je recommande régulièrement, demandez-vous ce que pourront être les conséquences (immédiates, à moyen et long-terme) de la solution que vous privilégiez, ainsi que celles des autres options en présence.

Cela ne signifie pas que vous deviez exprimer chacune de vos pensées à tout moment. Cela n’implique que ceci : que vous serez préparé à exprimer des pensées pertinentes. Concentrez votre effort. Dépersonnalisez les suggestions. Assurez-vous qu’elles sont toutes dans le meilleur intérêt de l’organisation et de ses parties prenantes. Exprimez-vous lorsque des questions importantes sont balayées, ou si la considération de certaines d’entre elles est reportée dans un temps qui vous semble trop éloigné, et suivez la supervision des décisions ayant été prises. Appuyez-vous de façon appropriée sur le travail des comités, ou sur les membres du conseil dont l’expertise est particulièrement requise pour le problème considéré, de telle façon que la discussion reste efficace, mais rappelez-vous qu’en dernière instance, tous les membres du conseil sont responsables de tout.

Les challenges de la prise de parole.

Plusieurs situations peuvent faire obstacle à votre prise de parole.

(a) Exprimez-vous même si vous êtes nouveau au conseil d’administration. Tous les membres du conseil ont une égale responsabilité en termes de gouvernance, et partant, une même obligation de s’exprimer – y compris ceux qui sont nouveaux au conseil. Bien entendu, appréhender la dynamique du conseil et les travaux de l’organisation peut prendre du temps ; il n’en reste pas moins que les nouveaux membres du conseil ont pour obligation de s’assurer qu’ils comprennent pleinement la discussion et les votes qui s’ensuivent. Il est possible que vous n’ayez pas immédiatement de réponses, ni même une conception bien claire d’un problème, mais il est alors de votre responsabilité de poser des questions. S’il vous est inconfortable de le faire tandis que le conseil siège au complet, ou si votre intervention risque de perturber la réunion, ou si elle est inappropriée pour quelque autre raison que ce soit, différez-la, et posez plus tard vos questions aux présidents de comités, au Président du conseil d’administration, ou encore à d’autres membres du conseil dont l’expertise est particulièrement requise sur tel ou tel sujet spécifique. Exprimez vos vues, même à propos de problèmes ayant surgi avant votre arrivée au conseil. Un corollaire du fait d’être nouveau au conseil d’administration est de ressentir une certaine timidité vis-à-vis de l’équipe de management, des collègues du conseil, ou de ceux qui, par la prépondérance de leur parole, font figure de « petits tyrans ». Il est de la responsabilité de chacun des membres du conseil d’exprimer ses vues, un point c’est tout. Si une situation vous semble terriblement inconfortable, il est important de tâcher d’y apporter une solution avec le concours du Président du conseil d’administration, ou celui du comité approprié.

(b) Exprimez vos vues sur les problèmes qui peuvent paraître sortir du cadre de la gouvernance classique ou de celui des politiques formelles de l’organisation.

La ligne de partage entre la responsabilité de gouvernance (c’est-à-dire, la supervision du conseil d’administration et l’accountability) et la responsabilité de management est de plus en plus soumise au besoin qu’a chaque organisation de faire face à de rapides changements de contexte. La loi est en retard sur les développements technologiques, commerciaux et sociaux (voir par exemple le récent débat américain sur le piratage internet), et certains problèmes semblent hors du champ de la gouvernance procédurale classique. Cela est vrai aussi bien des réalités du monde du commerce, telles que les conséquences imprévues de l’utilisation de Facebook (par exemple les brimades virtuelles conduisant au suicide d’adolescents), que des réalités du secteur à but non lucratif (par exemple le contrecoup des taux d’intérêts en micro-finance). En théorie, bon nombre de ces problèmes relèvent de la responsabilité du management. Cependant, en pratique – et en éthique – le conseil devrait intervenir, et à tout le moins s’assurer de ce que ces problèmes sont pris en charge de façon dynamique, avec une expertise externe appropriée, en s’engageant à trouver des solutions et à rester transparent. Exprimez vos vues lorsqu’il semble exister des vides dans la réglementation, des risques sociaux imprévisibles, des difficultés à anticiper les conséquences d’un nouveau modèle commercial, ou simplement des problèmes nés de béances dans les politiques de gouvernance formelle – toutes situations qui réduisent la capacité à gouverner correctement une organisation. S’il n’y a pas toujours de réponses, passer en revue les questions et faire l’ébauche d’un plan permettant d’assurer une réflexion et une supervision continues (autant d’éléments à inclure intelligemment dans les comptes-rendus) sont la preuve d’une gouvernance solide.

(c) Exprimez vos vues avant le vote… et de nouveau après celui-ci, pour en clarifier les conséquences. La plupart des membres des conseils d’administration comprennent bien qu’il leur soit nécessaire, avant un vote ou toute autre prise de décision, d’exprimer leurs vues de façon bien argumentée. Cependant, l’une des faiblesses de la gouvernance est l’insuccès du conseil à revoir, immédiatement après le vote, les risques et les faiblesses de toutes les potentielles conséquences de sa décision. Après une discussion ou une prise de décision, tous les membres du conseil d’administration doivent en respecter la confidentialité de façon appropriée, et constituer, tant vis-à-vis de l’équipe de management que de la communauté externe à l’organisation, un front solidement unifié. Cependant, en sus du caractère unifié de cette prise de décision ou de ce vote, la bonne gouvernance exige de disposer d’une liste claire des risques potentiels et des problèmes à considérer. Les responsabilités qu’induit la gouvernance ne prennent pas fin au moment du vote ou de la décision : elles se prolongent au travers du suivi, de la surveillance, de l’évaluation et de la gestion du risque.

Comme à l’accoutumée, les commentaires et les questions sont les bienvenus.

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