Les phrases d’introduction telles que « dans notre cas… », ou « étant donnée l’histoire de notre conseil », ou « à la lumière de l’expertise de notre conseil et de ce à quoi il se consacre… », ou bien encore « la culture de notre organisation nous empêche de… », envahissent de plus en plus souvent les discussions sur la gouvernance, l’accountability, la transparence et l’éthique (ensemble que j’appelle « GATE »). Par exemple, certains conseils d’administration considèrent, parce qu’ils ne sont que rarement confrontés à des conflits d’intérêt, qu’une procédure méticuleuse de gestion de ces conflits n’est peut-être pas nécessaire. D’autres croient le Président du conseil d’administration si compétent qu’il ou elle devrait avoir un pouvoir plus étendu dans les décisions de gouvernance (telles que la structure et les consignes données au comité, la planification de la succession du Président, l’évaluation du PDG et l’analyse des rémunérations) que GATE ne le suggère – une sorte de dictateur bienveillant, compétent et efficace. D’autres conseils d’administration écartent certaines règles et certains mécanismes de GATE, considérant qu’ils sont incompatibles avec la « culture » de l’organisation.

En réalité, aucune attention particulière portée (collectivement ou individuellement) à la situation spécifique et/ou aux dirigeants d’une organisation ne devrait servir de point de départ à l’analyse de GATE. Bien plutôt, il conviendrait d’en faire le point final : une fois l’analyse et la mise en place de GATE (de premier ordre) achevées, il peut s’avérer nécessaire, sans pour autant nuire aux standards initialement adoptés, de peaufiner GATE pour qu’elle soit aussi bien adaptée à l’organisation qu’il se puisse.

Premièrement, et plus important que le reste, GATE n’est pas personnel – ni vis-à-vis d’individus spécifiques, ni vis-à-vis d’une organisation spécifique. GATE est plutôt à l’opposé de cela. Une bonne GATE permet aux organisations de travailler selon des paramètres de premier ordre, et d’assurer à toutes les parties prenantes – donateurs, bénéficiaires, employés, bénévoles, fournisseurs extérieurs, régulateurs, public – que l’organisation est elle-même first in class, indépendamment des individus qui la gouvernent ou de ses caractéristiques organisationnelles. GATE offre une structure neutre – qui n’est faite ni pour accuser, ni pour excuser. Ce qui ne signifie pas que l’addition ou la modification de certaines pratiques ne soit jamais nécessaire ni appropriée : cela signifie que les organisations devraient partir avec les règles de GATE les plus exigeantes que possibles, et les ajuster vers toujours plus d’exigence. N’ajustez jamais rien, depuis quelque point que ce soit, dans le sens d’une exigence moindre.

Deuxièmement, GATE n’est pas un exercice historique. GATE ne s’appuie pas sur une analyse rétrospective du passé. Il s’agit au contraire de regarder vers l’avant, et d’assurer une gestion prudente du risque. Le thème central de ce blog, le 20/20 foresight (voir l’article My Philosophy of Accountability, Governance and Ethics: 20/20 Foresight) peut être résumé ainsi : que voudriez-vous être en mesure de dire que vous avez fait et mis en place dans le passé au sein de votre organisation, si toutefois un problème survenait, ou même si les médias ou d’autres parties prenantes présentaient la situation de façon inadéquate ? Les individus, les organisations, l’environnement, et les meilleures pratiques sont sujets au changement, et par conséquent le passé n’est pas une base efficace pour la considération du futur. Ceci est particulièrement vrai à une époque où même le présent est difficile à déchiffrer. Une myriade de facteurs, depuis la situation économique jusqu’aux médias sociaux, rend essentiel de garder les yeux braqués vers l’avant. Une bonne GATE devrait avant tout s’appliquer à gérer l’incertitude (voir l’article « The only certainty is uncertainty »). Ce qui ne signifie pas que les leçons passées doivent être ignorées, mais plutôt qu’elles ne sont pas suffisantes.

Troisièmement, GATE se situe à un niveau plus élevé que la culture organisationnelle. La culture ne peut pas être une excuse à la mauvaise gouvernance. Par exemple en France, la structure associative démocratique des organisations à but non lucratif (les membres de l’association élisent le conseil d’administration, par opposition à l’autoperpétuation du conseil qui est la règle dans la plupart des organisations au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis) devient parfois une excuse à une faible gouvernance : plutôt que d’identifier les profils d’expertise nécessaires au conseil d’administration, les membres votent pour des représentants avec lesquels ils se sentent à l’aise, et qui ne modifieront pas les statu quo. Aux Etats-Unis, parfois la culture fait appliquer la gouvernance trop à la lettre, de telle sorte qu’on ne s’attache à satisfaire que les conditions techniques qu’elle impose, se dispensant ainsi de sonder l’esprit même des pratiques de gouvernance. Or le fait de respecter ces conditions techniques n’est pas nécessairement garant d’une bonne gouvernance. La culture et la bonne gouvernance peuvent, et même doivent, cohabiter. Pour le dire autrement, je ne connais aucune des cultures organisationnelles dont je voudrais faire partie qui postule que les conseils d’administration n’ont pas à insister sur une GATE first in class indépendamment de la situation de l’organisation ou des individus qui la gouvernent.

Quatrièmement, GATE requiert de dépersonnaliser les dirigeants. Très peu de conseils d’administration se concentrent suffisamment sur le plan de succession du PDG ou du Président, y compris sur ce qui se passerait si, pour quelque raison que ce soit, le PDG ou le Président devait se retirer soudainement, et de façon inattendue. A nouveau, il est question ici du fait que les organisations ont besoin de dirigeants, et du fait que, de façon générale, les dirigeants peuvent avoir des problèmes inattendus – et non pas des individus en eux-mêmes, ni de l’organisation. Entraîner et guider les candidats internes, de même qu’identifier les candidats externes potentiellement intéressants, sont des processus importants. Un plan de succession pour le Président du conseil impliquerait très probablement la formation d’un comité composé de membres du conseil d’administration indépendants, et qui n’inclurait ni le Président actuel, ni les candidats potentiels à ce poste.

Cinquièmement, GATE n’a pas à être vue comme un poids. Bien au contraire. Il y a une grande efficacité à faire un investissement initial, et à fournir par la suite les efforts subséquents de vérification et de mise à jour des pratiques, de telle façon que GATE soit à tout instant claire à tous les niveaux et pour tous les individus. Je ne rédige que rarement une charte de gouvernance qui excède une page ou deux, mis à part les codes de déontologie qui peuvent atteindre trois ou quatre pages. La plupart ne sont en fait qu’une liste de points, longue d’une seule page.

Donc : dépersonnalisez GATE.

Comme à l’accoutumée, vos questions et commentaires sont les bienvenus.

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