La discussion qui suit porte sur un récent rapport très populaire au Royaume-Uni (le « Rapport Davies ») [1], publié récemment, et intitulé Women on Boards [2]. Il expose des recommandations sur la manière d’aborder ce nouveau challenge : l’augmentation du nombre de femmes dans les conseils d’administration. Le rapport est le fruit du travail d’un comité de pilotage présidé par Lord Davies d’Abersoch, commandant de l’Ordre de l’Empire Britannique. Les recommandations qu’il recense sont valables internationalement (il contient des informations utiles sur les progrès, les pratiques, et les approches réglementaires dans plusieurs pays, parmi lesquels les Etats-Unis, la France, et la Norvège). De façon tout aussi significative, ce rapport constitue un excellent point de départ pour organiser certaines réflexions propres au secteur à but non lucratif, et ce pour des organisations de toutes tailles et de tous secteurs.

Je recommande sans réserve le rapport Davies aux dirigeants et aux membres des conseils d’administration du secteur à but non lucratif, et en particulier aux présidents et aux membres des comités de nomination. Il est peut être utile non seulement au Royaume-Uni, mais aussi aux Etats-Unis, en France, en Norvège et dans le monde entier. Le rapport suggère une approche pondérée et ouverte, tout en étant méthodique et accountable. Les suggestions peuvent profiter à la fois aux entreprises et à leurs parties prenantes, ainsi qu’aux femmes candidates à la position de membres de conseils d’administration. Gouvernance d’excellence, entrée des femmes dans les conseils d’administrations, et égalité des chances, sont les éléments clefs de ce rapport. Non moins importante est cette recommandation qu’il formule expressément : ne pas mettre en place de quotas.

Ceci étant dit, j’aurais aimé voir mis en lumière les liens avec le secteur à but non-lucratif, et ce de deux façons. En premier lieu, l’expérience de nombreuses femmes dans le secteur à but non lucratif est remarquablement utile pour les conseils d’administration d’entreprises, qu’elles soient responsables seniors, membres de conseils d’administration, ou consultantes et expertes du secteur industriel : de nombreuses femmes ont en effet une double compétence. En second lieu, le rapport perd une occasion significative d’établir une relation entre ses propositions et le secteur à but non lucratif. Les observations qu’il contient visent la gouvernance des entreprises britanniques, mais sont aussi, en effet, largement applicables à ce secteur dans le monde entier, et il est regrettable qu’il y ait sous ce rapport un décalage entre le secteur à but non lucratif et le reste du secteur privé. Ce qui suit répertorie les points les plus importants pour remédier à ce problème. Il ne s’agit pas d’une tentative de résumer le rapport, mais plutôt de souligner les priorités que le secteur à but non lucratif doit prendre en considération.

  • Pas de quotas : trouver un équilibre entre la discipline et l’accountability des résultats dans le recrutement des membres des conseils d’administration, en adaptant les approches aux spécificités de chaque organisation. Toute organisation, entreprise ou entité à but non lucratif fait face à des challenges en termes de gouvernance et à des besoins d’expertise qui lui sont propres. L’histoire de son conseil d’administration est unique : celui-ci doit déterminer des fonctions, choisir sa composition, et prendre en compte la gestion des risques. Les conseils d’administration doivent donc être en mesure d’aborder le recrutement des femmes d’une manière adaptée à leurs besoins propres. Toute autre approche relèverait tout simplement d’une mauvaise gouvernance. C’est également vrai pour le secteur à but non lucratif. A l’aune de ces éléments, le rapport se refuse à recommander l’établissement de quotas, se focalisant plutôt – et à juste titre – sur les « besoins du business, les compétences, et les capacités. » Des objectifs sont proposés pour 2013 et 2015, qui sont alliés à la mesure et à l’amélioration de la transparence des processus de recrutement et de nomination, sous le rapport de la diversité. [3]
  • Non seulement les femmes chefs d’entreprises… Une approche plus ouverte de la composition des conseils est essentielle. Les conseils d’administration, des entreprises comme des entités à but non lucratif, doivent se nourrir d’expériences diverses, et dans un cas comme dans l’autre, ils peuvent tirer profit de la présence en leur sein d’expert en gouvernance du secteur à but non lucratif. Le rapport cite “les entrepreneurs, universitaires, fonctionnaires et femmes senior, avec une expérience dans les services professionnels.” [4] J’aurais pour ma part défendu avec fermeté l’expertise des femmes ayant fait partie de conseils d’administration dans le secteur à but non lucratif ; plus encore, de celles ayant une expérience à la fois dans le secteur lucratif et dans le secteur à but non lucratif.
  • Le cas de l’entreprise. Les raisons pour lesquelles les femmes dirigeantes sont bénéfiques aux entreprises sont légion. Elles ne le sont pas moins quant au secteur à but non lucratif, où elles participent activement à l’amélioration de la performance, à l’accès à une pépinière plus large de talents, et font montre d’une forte réactivité aux exigences du marché (par exemple, la responsabilité des femmes dans les décisions de dépenses du ménage est significative et même, dans le cas du secteur à but non lucratif, considérable en ce qui concerne les dons aux œuvres de charité [5]). Par ailleurs, le rapport Davies cite plusieurs travaux de recherche montrant combien les femmes sont plus exigeantes au sujet des standards de gouvernance des entreprises (pour des raisons aussi variées que leur meilleure capacité de communication, l’attention qu’elle portent aux mesures non financières, et leur intérêt pour les programmes de formation des directeurs [6]). Je ne suis pas favorable à ce type de généralisations, qu’elles soient en faveur des femmes ou non, car je pense que la performance est une affaire éminemment individuelle et indépendante du sexe. Pour autant, ces recherches me semblent pertinentes, à la fois pour le débat qu’elles posent, et pour alimenter la réflexion sur le secteur à but non lucratif.
  • Transparence. Le rapport Davies rappelle à juste titre le besoin de mettre à jour les objectifs d’une approche de la question de la présence des femmes dans les conseils d’administration. S’il peut sembler évident qu’une gouvernance transparente appelle une politique de diversité, j’ai trouvé peu d’exemples du reporting ciblé que le rapport Davies suggère  – dans les secteurs à but lucratif et non lucratif. Comme je l’ai fait remarquer plus haut, à cet objectif de transparence le rapport Davies ajoute l’intérêt que les actionnaires peuvent trouver dans la présence de femmes dans les conseils d’administration. Les donateurs du secteur à but non-lucratif ainsi que ses bénéficiaires s’en préoccupent également, ou devraient apprendre à s’en préoccuper.  Donc, à nouveau, il existe des raisons directes, tant en matière de business et d’accountability, qui justifient les recommandations de transparence à la fois dans le secteur des entreprises que dans celui des entités à but non lucratif.
  • Actions volontaires. Le rapport Davies souligne un point de vue qui est depuis longtemps au cœur de ma philosophie, au sujet des meilleures pratiques dans l’entreprise et dans les organismes à but non lucratif : celles-ci vont toujours plus loin que ce que la loi exige. Comme indiqué plus haut, dans le cas des entreprises, le rapport Davies note très justement qu’il existe un cas d’entreprise pour cela. Et il y en a un également dans l’univers à but non-lucratif. Par ailleurs, l’univers à but non lucratif fait bien en anticipant le transfert des réglementations du secteur de l’entreprise à son propre secteur. Une mise en place massive et volontaire de pratiques allant au-delà de la loi contribue à compenser une régulation excessive ou inefficace. [7]
  • Par-delà la question du sexe. Un conseil d’administration vraiment divers équilibrera le besoin d’excellence de la gouvernance en favorisant la diversité des profils  – pas seulement celle des genres.
  • Tous les directeurs sont responsables de tous les aspect de la gouvernance: la formation des directeurs, en la matière, est un point clef. Depuis longtemps, je considère qu’indéniablement chaque membre d’un conseil d’administration doit être responsable de toutes les questions relatives à la gouvernance et à la supervision. Par exemple, il ne peut pas y avoir de dépendance excessive de certains membres vis-à-vis de quelques experts en finance pour la maîtrise des questions financières. Chaque membre de conseil d’administration doit au moins comprendre et prendre ces questions en considération. Le rapport Davies admet bien entendu qu’aucun directeur ne peut tout connaître, mais remarque que certaines compétences (y compris les compétences financières) peuvent être acquises grâce à des formations correctement conçues. Le rapport Davies aborde la question au travers du problème du recrutement de femmes compétentes. Je pense que les conseils d’administration en général sont trop peu formés, et trop peu au fait des meilleures pratiques en matière de gouvernance. Nous avons tous nos forces et nos faiblesses. Presque chaque directeur d’entreprise (pas uniquement les femmes!) pourrait tirer profit d’une formation dans un domaine ou l’autre. La formation est encore plus importante dans le secteur à but non lucratif, étant plus absente là qu’ailleurs, et en particulier dans les organisations où les recrutements des conseils d’administration sont axés sur l’expertise sectorielle, au détriment de l’expérience des candidats en matière de gouvernance.
  • Processus de nomination. Je recommande vivement aux conseils d’administration du secteur à but non lucratif, même composés de peu de membres, de mettre en place des comités de nomination à même d’évaluer quels profils seront les plus profitables à l’organisation, ainsi que des processus de recrutement plus transparents. Le rapport Davies cite, pour dénoncer ces pratiques, les statistiques sur le recrutement via contacts personnels. Or, cette pratique n’est pas étrangère au secteur à but non lucratif.
  • Réglementation et sanctions. Partout dans le monde, par exemple en France, en Espagne et en Norvège, il existe des quotas plus spécifiques, et des sanctions pour ceux qui ne les respectent pas. Ces tendances doivent être gardées à l’esprit, dans les secteurs lucratif et non-lucratif, alors même que la position du Royaume-Uni sur ce point évolue – ici encore, aussi bien pour les secteurs à but lucratif et non-lucratif. Je n’évalue pas ici la validité des quotas dans d’autres configurations nationales.

Le rapport Davies devrait être utilisé afin de sauvegarder la vitalité de la réflexion menée sur la gouvernance dans le secteur à but non lucratif, et afin d’évaluer la situation actuelle de votre conseil d’administration et d’établir des objectifs – en matière de recrutement, de procédés, et de transparence. Gardez aussi un œil sur l’évolution de la question dans le secteur à but lucratif dans le monde.

Copyright 2011 Susan Liautaud. All rights reserved

[1]  Women on Board, independent review, by Lord Davies, http://www.bis.gov.uk/assets/biscore/business-law/docs/w/11-745-women-on-boards.pdf
[2]  Les femmes dans les Conseils d’administration
[3]  Women on Boards, independent review, by Lord Davies, http://www.bis.gov.uk/assets/biscore/business-law/docs/w/11-745-women-on-boards.pdf, page 18.
[4]  Ibid, page 5.
[5]  E.g.  Women Take the Lead in Couples’ Charitable-Giving Decisions, Paula Wasley, The Chronicle of Philanthropy, May 19, 2009, http://philanthropy.com/article/Women-Take-the-Lead-in/63093/, downloaded April 24, 2011.
[6]  Davies Report citing Brown, D., Brown, D. And Anastasopoulos, V. (2002) Women on Boards: Not just the Right Thing…But the “Bright” Thing, Report 341-02: The Conference Board of Canada, Ottawa, Davies Report, page 10 (footnote 22). Also, Diversity and Gender Balance in Britain plc: a study by TCAM in conjunction with The Observer and as part of the Good Companies Guide, London, UK: TCAM: 2009, Davies Report page 9 (footnote 14).
[7]  Principles For Good Governance and Ethical Practice, Independent Sector,
https://www.independentsector.org/uploads/Accountability_Documents/Principles_for_Good_Governance_and_Ethical_Practice.pdf, page 2, downloaded April 24, 2011.