L’Histoire du Risque
Un article intéressant a récemment été publié dans le Financial Times, sous le titre « Plein feux sur la déontologie pour les nouveaux classements » (“Spotlight on ethics for new rankings”, Alison Smith, Companies section, UK edition, April 6, 2011). Le point crucial de cet article est la pertinence des problèmes rencontrés et des efforts poursuivis par les entreprises dans les domaines sociaux, environnementaux, et de la gouvernance, pour les actionnaires comme pour les managers. Cependant, quelques passages mettent en lumière une question-clef qui pourrait parallèlement concerner les organisations à but non-lucratif : l’identification, le management et la communication des risques. Un de ces passages stipule qu’en dépit de l’attention de plus en plus soutenue portée par les agences de notation dans ces trois domaines de la responsabilité sociale des entreprises, les investisseurs sont « concernés par deux choses : obtenir un retour sur investissement aussi rentable que possible, et manager le risque aussi bien que possible » (Financial Times, citant les propos de Patrick Connolly, de AWD Chase de Vere). Un autre passage se concentre sur « l’identification des entreprises risquées qui ne gèrent pas effectivement ce risque » (Craig Mackenzie of Scottish Widows Investment Partnership).
Vraisemblablement, « un retour sur investissement aussi rentable que possible » correspond, dans le secteur à but non-lucratif, à l’efficacité des programmes et à l’offre de services vis-à-vis de ses bénéficiaires ; cela ne saurait en aucun cas renvoyer à un quelconque gain financier pour les donateurs. Le second point, le management du risque, devrait être un problème que se posent tous les donateurs. Si un investisseur en attente d’un retour sur investissement se soucie du risque auquel l’entreprise est confrontée, très certainement un donateur, qui n’attend aucun retour de ce genre, devrait être traité avec au moins autant de soin. Pour autant, même à notre époque où l’accountability et la transparence font l’objet de la plus grande attention, les organisations à but non-lucratif sont remarquablement inaptes à assigner, et à manager les risques, et plus encore à communiquer à leur sujet. En particulier, la transparence vis-à-vis du public et des donateurs est absolument nécessaire, et ce y compris dans les rapports annuels et les sites internet des organisations les plus renommées.
Sont formulées ci-dessous quelques suggestions pour garantir la transparence des risques
- Couvrez-vous le panel intégral des risques qui vous concernent : les risques internes (légaux, financiers, éthiques et stratégiques) et les menaces extérieures (concurrence, réglementation, instabilité politique, financement gouvernemental, changement climatique, etc) ?
- Avez-vous une idée du degré de risque ? de la durée anticipée du risque ?
- Avez-vous mentionné les stratégies auxquelles vous songez, ou que vous avez d’ores et déjà mises en place, afin d’atténuer le risque ? Par exemple, avez-vous mis en place des politiques de gestion de la corruption ? avez-vous diversifié vos sources de financement au cas où un donateur majeur se retirerait ?
- Avez-vous repéré des tendances dans quelqu’un des domaines principaux de risque?
- Votre transparence est-elle pertinente vis-à-vis de vos parties prenantes ? Les donateurs sont-ils en possession des informations dont ils ont besoin (ce que je décrirais comme toute information assez importante pour influer sur la décision de faire une donation, ou sur celle de la date ou de la période de donation) ? Les bénéficiaires de vos services sont-ils en possession des informations dont ils ont besoin (ce que je désignerais comme étant les informations qui leur permettent de planifier comment, quand, et dans quelle mesure ils pourront disposer de vos services – c’est-à-dire, compter sur votre organisation) ? – Note : Il est présupposé ici qu’un Conseil d’Administration fonctionnel et efficace doit être parfaitement au fait des risques, et aborder régulièrement les questions relatives au management du risque.
- Avez-vous vérifié que vous ne supposez pas les lecteurs de vos documents simplement « au courant » (comme me l’a dit un de mes clients…) que le pays X comporte un risque significatif de corruption et que le pays Y fait face à une sécheresse ? Les donateurs et le public ne sont pas, et ne devraient pas être considérés comme des experts dans votre domaine de compétence. Plus important encore, on ne doit pas attendre d’eux qu’ils aient la volonté ni même la capacité de mettre en relation les risques et les implications spécifiques que ceux-ci peuvent avoir pour votre organisation – et par conséquent pour leurs dons. La transparence requiert qu’à leur intention, vous reliez vous-mêmes ces points entre eux.
Dans bien des cas tout ceci peut tenir en quelques phrases. Pour des organisations plus complexes, d’envergure internationale, on peut s’aider d’une matrice ou d’un tableau, lesquels peuvent être facilement et rapidement mis à jour. Pour conclure, rien n’est si éloigné de ma pensée que de transférer, sans la moindre modification, les pratiques courantes des entreprises aux organismes non-lucratifs. Pour autant, l’assignation des risques, leur management, et leur communication, constituent un terrain essentiel tout à la fois pour les organisations lucratives et non-lucratives, sur lequel une organisation peut se fonder pour se distinguer par son excellence en termes de gouvernance et d’accountability.
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