Le 1er janvier est souvent l’occasion d’afficher de nouvelles intentions : les « bonnes résolutions » de la nouvelle année. L’importance du caractère intentionnel apparaît dans un grand nombre de travaux, qu’ils soient spirituels, politiques, littéraires ou philosophiques (ceux-ci sont trop nombreux pour les citer tous ici), ainsi que dans le droit pénal (par exemple, l’homicide volontaire par opposition à l’homicide involontaire) et que dans les relations sociales (« c’est l’intention qui compte »). Cependant, en ce qui concerne la supervision éthique, les dirigeants d’organisations manquent bien trop souvent de clarifier les intentions qui sous-tendent les initiatives éthiques. Cela signifie qu’au lieu de se concentrer sur les résultats escomptés en matière d’éthique, ils se contentent de considérer l’analyse comme achevée une fois qu’ils ont établi une liste d’actions éthiques à mener.Ce manquement apparaît comme l’une des principales erreurs commises par les dirigeants d’organisations et leurs conseillers, principalement parce que le processus de supervision est interrompu avant qu’on en ait spécifié les objectifs, et que l’action éthique est cependant considérée comme « achevée ». Il est important de noter que cette défaillance laisse dans son sillage un immense risque de négliger la vigilance continue et dynamique de rigueur touchant, en matière d’éthique, les principes, les politiques, les pratiques, les processus de prise de décisions, ainsi que la mise en œuvre et l’évaluation .

Cette défaillance reflète peut-être une vision de l’éthique comme intrinsèquement intangible ou théorique qui, par conséquent, n’est pas susceptible de fournir aucuns résultats concrets. Cette tendance peut également indiquer que l’expertise éthique ne s’est pas encore mise au diapason de ce mantra organisationnel largement accepté, selon lequel une exécution efficace appelle à la plus grande clarté des objectifs visés. (Des risques similaires surviennent lorsque des processus de planification stratégique de mauvaise qualité aboutissent à l’élaboration de simples listes d’actions au lieu de plans définissant les objectifs stratégiques, ou lorsque la gouvernance devient un exercice statique de validation plutôt qu’un processus continu de supervision)

Quels sont les éléments pertinents à prendre en compte ?

  • Poser la bonne question. Les mesures éthiques font souvent la une : codes de déontologie, formations ou rapports éthiques. Ces mesures éludent la question essentielle : quel résultat attend-on de ces mécanismes éthiques ? L’intention n’est vraisemblablement pas de se pourvoir d’un code ou d’une politique supplémentaire mais plutôt d’éradiquer la discrimination, ou les commissions de collecte de fonds inadaptées. L’excellence, dans le domaine de la supervision éthique, requiert de la part des organisations de tous les secteurs, ainsi que de leurs dirigeants et des autres intervenants directs ou indirects, qu’ils tiennent compte des objectifs visés à toutes les étapes, depuis la discussion initiale des principes directeurs, jusqu’aux politiques, aux pratiques adoptées, à la prise de décision, et à l’évaluation.
  • L’éthique au sein d’une réalité organisationnelle complexe. La détermination des objectifs éthiques à atteindre doit être conduite parallèlement à la clarification d’autres objectifs. Les objectifs éthiques sont intégrés dans une réalité organisationnelle ; celle-ci comprend de multiples objectifs et intérêts organisationnels et individuels, ainsi que des exigences en termes de ressources, qui entrent en concurrence les uns avec les autres. Il n’est que peu d’objectifs éthiques, si toutefois il en est aucun, qui puissent être considérés isolément. Tous les objectifs organisationnels devraient être associés à des résultats éthiques clairement définis. Par exemple, la décision d’adopter une politique de « tolérance zéro » à l’égard du harcèlement sexuel peut impliquer de devoir licencier l’associé qui génère le plus de revenus dans un cabinet d’avocats. Une telle situation diffère de façon considérable d’un système d’avertissements qui prendrait en compte les revenus générés, la loyauté envers les dirigeants, ou même d’une approche considérant que les « secondes chances » sont acceptables d’un point de vue éthique. Décider de ne pas conduire d’opérations commerciales dans un pays dont on sait que la corruption y sévit de façon inévitable, modifie de fait divers engagements potentiels : comme de rejeter des opportunités d’acquisitions stratégiques ; de refuser des donations, même si le donateur n’a aucun lien direct avec la corruption ; ou, pour une organisation multilatérale, la charge de prendre en compte la famine, ou de déterminer le degré de corruption au niveau gouvernemental.
  • La clarification de différentes questions éthiques contradictoires. L’exercice qui consiste à définir les objectifs et résultats en matière d’éthique fait souvent émerger plusieurs objectifs qui se recoupent. On peut citer comme exemples de résultats : un respect irréprochable des régulations en matière d’éthique (par exemple, du « UK Anti-Bribery Act » de 2010) ou la mise en place de mécanismes de protection dynamiques contre les procès potentiels ; la protection de la réputation de l’organisation ; la mise en œuvre et la communication de valeurs essentielles (par exemple, le traitement des employés ou la durabilité) ; les objectifs financiers (comme d’attirer des investisseurs éthiques, ou d’aller plus loin encore que les exigences courantes en matière de transparence vis-à-vis des donateurs, des actionnaires ou du public, afin d’attirer des fonds) ; les objectifs politiques (par exemple, remporter une élection ou mobiliser des soutiens pour une action politique) ; attirer des clients / étudiants / donateurs / électeurs ; ou renforcer une réputation personnelle (comme la réputation personnelle d’un Directeur Général ou d’un directeur financier, ou d’un régime d’indemnisation).
  • Priorisation des questions éthiques. Le fait de se focaliser sur les objectifs visés oblige les organisations à accorder la priorité à l’éthique au sein d’une réalité complexe et des multiples objectifs organisationnels concomitants exposés précédemment. Le plus souvent, les mesures ne nécessitent pas d’investissements importants. Faire parvenir un email de rappel aux employés au sujet de l’éthique à respecter en matière de notes de frais, n’est pas coûteux. Cependant, obtenir des résultats nécessite des choix difficiles. Licencier les employés d’un département entier, parce qu’ils ont violé la règle concernant les notes de frais, peut s’avérer en revanche très coûteux.
  • L’application. Des résultats éthiques clairement définis impliquent également l’application des politiques éthiques dans les situations difficiles (par exemple, lorsqu’il s’agit de licencier le Président respecté du Conseil d’Administration d’une banque, en raison de son incapacité à s’opposer au comportement non-éthique du Directeur Général). Les objectifs qui sous-tendent les politiques rendent plus faciles de tels sacrifices. Il est bien plus aisé de mettre en œuvre une politique éthique de « tolérance zéro » en ce qui concerne des violations de sécurité d’une usine, qu’une approche vague « sécurité et autres considérations », qui est en général la position par défaut en l’absence de résultats spécifiques bien définis.
  • Une vigilance constante. Des objectifs éthiques clairement définis simplifient l’adaptation aux changements ou aux crises, externes aussi bien qu’internes. Une organisation multilatérale peut changer les prérequis de sa gouvernance afin d’apporter une assistance en période de famine. Une société peut repenser les objectifs éthiques qui soutiennent sa politique de recrutement en période de difficultés économiques. Les dirigeants doivent garder un œil sur les résultats à atteindre en matière d’éthique pour adapter de façon flexible les mesures à mettre en œuvre afin d’atteindre ces objectifs alors même que les circonstances évoluent.
  • Leadership. La responsabilité de définir les grands objectifs éthiques de l’organisation, ainsi que leur communication au sein de l’organisation et à l’extérieur, repose sur les hauts dirigeants. Par ailleurs, une attention rigoureuse portée aux objectifs éthiques améliore le leadership et la sensibilité aux risques éthiques. Cela reflète la responsabilité des dirigeants en termes de stratégie et de gouvernance.
  • Évaluation et enseignements. La clarté des objectifs permet une meilleure évaluation, et améliore la capacité à tirer des enseignements sur les raisons qui expliquent pourquoi et comment les objectifs éthiques visés sont atteints ou non. Cette attention portée aux objectifs ne change rien au fait que des efforts en matière d’éthique ne garantissent pas les résultats. Cependant, des objectifs clairement définis améliorent nettement le processus de prise de décision, les chances d’obtenir le résultat escompté, et la qualité de l’évaluation de ces deux aspects. Il est difficile de démontrer que l’on fait face à ses responsabilités si des objectifs clairement définis ne font pas partie de l’évaluation.

Enfin, comme toujours, je considère qu’une supervision éthique de premier ordre est une opportunité. La clarification des résultats visés en matière d’éthique ne fait pas qu’améliorer la supervision éthique : elle améliore également d’autres paramètres de l’organisation, et la prise de décision au sein de l’organisation en général.

© Copyright Susan Liautaud & Associates Limited. All rights reserved.

Traduction Axel Delaud et Virgile Deslandre